10 Juin 2000
- Theodore... Mange, ordonna Zacharias en voyant que son ami se contentait de fixer une assiette qui demeurait désespérément vide. Sinon je te donne la becquée... et tu sais que je le ferais.
Contre toute attente, ce n'était pas le sorcier aux cheveux noirs qui avait dû surveiller que l'autre était bel et bien en train de se restaurer et le menacer si besoin... mais l'inverse. Depuis qu'ils s'étaient installés dans la Grande Salle, le fils Nott n'avait encore touché à rien. Il fallait dire qu'il n'avait déjà, à la base, pas un gros appétit et que plus les semaines passaient et plus son ami avait des raisons de s'inquiéter en le voyant s'alimenter de plus en plus difficilement.
Les plats n'étaient pas aussi nombreux que ce qu'ils avaient autrefois connus, ni aussi beau au regard. Disposés face à eux, ils semblaient n'attendre qu'une seule chose : qu'on ne les vide afin d'être ramenés au plus vite en cuisine où on les remplirait de nouveau pour les prochains. Malgré la qualité esthétique amoindrie, la nourriture restait tout à fait correct... ce qui n'empêchait pas le serpent de ne pas y toucher.
Celui-ci ne prenait même pas la peine de jeter un bref et rapide coup d'œil en leur direction. C'était comme si le simple fait de les regarder allait le rendre malade et il préférait donc garder la tête rivée vers la vaisselle devant lui qui était toujours impeccable.
L'ancien élève de Poufsouffle l'observa un bref instant, désolé, avant de prendre le temps de remplir de lui-même l'assiette de son voisin. Sans aller jusqu'à la faire déborder, conscient que ce ne serait ni plus ni moins que du gâchis, il y mit tout de même suffisamment de nourriture pour que l'estomac de Theodore ne soit, au moins en parti, rempli.
Tout en mangeant une purée qui commençait déjà à se faire froide, Zacharias s'assurait du coin de l'œil qu'une fourchette faisait bel et bien le trajet entre l'assiette et la bouche de son ami. Mais en plus il devait également veiller à ce qu'elle n'aille pas, par un fâcheux hasard, se déverser dans l'assiette de Kevin Entwhisle qui avait eu le malheur de s'attabler en face du serpent.
Celui-ci ne devait se rendre compte de rien car il ne faisait aucunes remarques, ce qui, bien entendu, poussait Nott à continuer son petit manège.
- Theodore... mange, insista-t-il. S'il te plaît. T'as presque pas touché à ton assiette...
- Je suis fatigué, murmura l'autre en tournant la tête vers lui. Juste fatigué. J'aimerais, pour l'heure, simplement aller dormir... même si c'est moi qui ait proposé de.
Le garçon aux cheveux blonds regarda son ami d'un air affligé et se passa une main dans les cheveux. Il faisait systématiquement cela lorsqu'il réfléchissait ou était embêté par la tournure que prenait les derniers évènements. Chaque fois que Theodore revenait du manoir Malefoy après y avoir passé plus ou moins de temps... c'était pour toujours revenir dans un plus triste état que la fois précédente. Ça le minait, lui qui aimerait tellement que son camarade ne cesse de se mettre autant en danger.
S'il avait su que, de son côté, le Serpentard pensait sensiblement la même chose dans le sens inverse... et s'inquiétait comme pas possible au sujet de Zacharias,
Par il ne savait trop quel miracle, le jeune Nott réussissait toujours à mettre la main sur son ami en un temps record. C'était à se demander comment il faisait ! D'accord, parfois il croisait quelqu'un qui était au courant de l'endroit où le blond se terrait et qui le lui disait... mais ce n'était pas la majorité du temps. En règle général Theodore ne pouvait compter que sur lui-même et c'était amplement suffisant ; c'était comme s'il avait lancé un sort de détection sur sa personne.
Ce qui, était impossible, il fallait rester un que tant soit peu terre à terre.
Une fois qu'il avait mit la main sur son blaireau favoris, il s'occupait à le soigner sans que celui-ci ne lui ait rien demandé. Parfois même il devait user de menaces pour que cela ne puisse se faire. C'est que l'autre pouvait se montrer particulièrement récalcitrant s'il voyait que son ami était dans un état de grande fatigue.
Ensuite, deux chemins se dessinaient devant les deux compères : soit ils décidaient de changer d'endroit, et en général c'était dans le but de gagner la Grande Salle, après quoi Zacharias était alors forcé de constater, si ce n'était pas encore fait, que son ami était incapable de faire quoi que ce soit pour le moment... manquant cruellement de sommeil et pouvant, par moment, avoir besoin de soins; soit le sorcier aux cheveux blonds envoyait aussitôt l'autre dormir.
Plus le temps passait et plus Theodore avait tendance à revenir éreinté de ses missions. Le second scénario avait donc tendance à se faire de plus en plus fréquent, ce dont n'allait pas se plaindre Smith, au fond. Les sortilèges de dissimulation que se lançait Nott faiblissaient à vu d'œil et son état apparaissait tel qu'il était réellement... c'est à dire : épouvantable.
Affaibli, fatigué et surtout : émotionnellement à bout à cause de toutes les horreurs vues et entendues.
Ce qui ne l'empêchait pas de continuer à vouloir donner le change lors de son arrivée... l'âne !
- Mange un peu quand même, murmura Zacharias en prenant une mine de chien battu. Après tu iras te reposer et j'en profiterais pour remettre un peu d'ordre dans la chambre.
- Les deux ne sont pas compatibles. Quand tu ranges tu es comme obligé de te cogner et de râler. En plus tu insultes tout et n'importe quoi... comment veux-tu que je ne dorme dans pareilles conditions.
- Alors je resterais calmement sur le côté à vérifier qu'aucun monstre ne sort de sous mon lit pour te dévorer.
Un fin sourire, mais un sourire tout de même, naquit alors sur les lèvres de Theodore qui acquiesça d'un simple signe de tête. Néanmoins : son comportement ne changea pas d'un pouce et il continuait à rester totalement inactif, les yeux rivés sur son assiette. Celle-ci était, à son humble avis, bien trop pleine. Zacharias n'avait aucun sens des proportions et, malgré les années, persistait à croire qu'il mangeait autant qu'un Ronald Weasley ou un Blaise Zabini.
Le plus souvent, les missions du brun duraient une semaine... plus ou moins. Ce laps de temps, plus court que celui des autres sorciers infiltrés dans les rangs de l'adversaire, laissait suffisamment d'occasion à Smith pour mettre leur chambre commune sans dessus-dessous et envahir l'espace parfaitement organisé et rangé de son camarade. La surface que Zacharias lui avait attribué, après avoir fait la promesse de ne pas empiéter dessus, devenait alors comme le reste de la pièce : un véritable champ de bataille recelant de cochonneries en tout genre.
Au fil du temps : son absence se faisait de plus en plus longues. Les trois ou quatre jours du début étaient devenus six ou sept jours... pour en arriver aujourd'hui à une petite douzaine. Ce qui était loin de plaire au blond qui était, sommes toutes, plus embêté par ceci que son ami.
La plus grande hantise de Zacharias, pour l'heure, c'était bien de ne pas voir revenir Theodore. Ou alors de voir son corps léviter devant lui, les pieds devants comme tant d'autres déjà avant lui et comme il y en aurait encore à sa suite. Chaque minute passée auprès des autres mangemorts était une minute où il était susceptible de voir sa couverture réduite en cendre.
Ou alors de le voir revenir grièvement blessé ; ou qu'il ne regagne pas le château pour une obscure raison.
Oui... Smith se faisait un véritable sang d'encre pour le jeune Nott. Effrayé à l'idée qu'il pourrait à son tour tomber. Qu'il pourrait le perdre lui-aussi. De ne plus pouvoir l'embêter à sa guise, lui sourire bêtement, ou que savait-il encore. Peur de perdre son Theodore... tout simplement.
Et si c'était une véritable torture pour lui... il en était de même pour les autres qui avaient à supporter le blaireau jours et nuit. Bien sur : en s'inquiétant eux-aussi quand à la sécurité de leurs infiltrés. Car si l'un d'eux tombait... rien ne garantissait que la couverture des autres seraient suffisamment solide pour tenir le coup et mieux vaudrait donc tous les retirer du circuit au plus vite.
Déjà qu'ils étaient mal engagés.
- Bon, céda le blond en se redressant et le prenant par le coude. Viens. On y va. J'irais te chercher de quoi manger quand tu te réveilleras tout à l'heure.
- Merci Zach, souffla Theodore.
- T'as pas à me remercier... c'est normal.
Deux heures après le retour de Theodore, et une à peine après qu'il ne se soit endormi : on vint frapper à la porte de la chambre avec un enthousiasme certain. Sans attendre d'y être conviée, la personne qui se trouvait juste derrière baissa la poignet... puis passa sa tête dans l'entrebâillement de la porte, tout sourire.
Liam Sheep était un ancien élève de Serdaigle et quelques années le séparaient de Theodore et Zacharias. Il n'avait connu Stephen Cornfoot que de vu et on ne pouvait pas dire que celui-ci avait marqué son aîné car jamais ils n'avaient échangés la moindre parole avant que le cadet ne rejoigne l'Ordre sitôt eut-il été en âge de l'intégrer.
Plutôt petit, il avait la peau blanche et les joues parsemées de tâches de rousseurs. Ses cheveux roux, mais loin d'être aussi flamboyant que ceux des Weasley, lui tombaient devant les yeux. Ceux-ci étaient noirs et, comme le reste de son visage et de sa gestuelle en général... étaient de parfaits indices pouvant éclairer sur son état d'esprit du moment.
Allez savoir comment, l'aigle était presque toujours enjoué et souriait malgré les temps troubles qu'ils étaient tous en train de traverser. Il avait également une fâcheuse tendance à s'exprimer à l'aide de grands gestes insensés et exagérés. A faire des moulinets des bras, parler avec ses mains... et n'oublions pas, pour achever ce portrait, de dire qu'il prenait un malin plaisir à sauter partout ou cela était possible et permis... ou ne l'était pas.
Malgré ces quelques années de décalage entre les trois sorciers et le fait que Liam n'ait jamais pu côtoyer de près ou de loin les deux amis en raison de leur maison respective... l'aigle s'était rapidement prit d'affection pour l'agaçant blaireau et l'aimable serpent.
L'amitié étrange qui semblait lier Zacharias et Theodore entre eux l'avait, dans un premier temps, grandement intrigué. Comment était-il possible qu'un Serpentard et un Poufsouffle ne s'entendent aussi bien ? Comment pouvaient-ils rire ensemble, se protéger, s'inquiéter pour l'autre... et ne jamais être prit de la subite envie de sauter à la gorger de l'autre pour l'étriper ? Comment pouvait-on trouver un seul point commun entre un vert et un jaune ?
Puis les jours, les semaines s'étaient écoulées et lui les avait observé. De loin. Ses idées pré-conçues sur les étudiants de la maison d'Helga et de Salazar s'étaient ensuite retrouvées fortement ébranlées. Nott et Smith se suffisaient à eux-même, ils se complétaient. Leur duo, bien qu'étrangement constitué et mal considéré en raison de leur maison d'origine se trouvait être des plus soudé. Parfois même plus que d'autres qui, pourtant, ne mêlaient que deux Gryffondors.
- Je viens aux nouvelles, sourit l'arrivant. Comment va-t-il ? Mieux que la semaine dernière ou il a encore réussit à faire pire ?
Du menton, le rouquin désigna Theodore. Allongé sur le matelas de Zacharias, le sien étant pour l'heure inaccessible, le serpent s'était enroulé dans la couverture. Après avoir récupéré son oreiller, bien rebondi comme il les préférait, sur son lit, il serrait fortement fortement celui de son camarade comme s'il n'eut s'agit d'une adorable peluche qui lui aurait permis de mieux dormir.
- J'ai appris par ce cher Kevin que Ted n'avait pas mangé grand chose, poursuivit l'aigle. D'ailleurs, tant que j'y pense, il m'a demandé de lui dire qu'il devrait essayer d'être plus discret la prochaine fois qu'il trouverait que l'idée de transvaser son assiette dans la sienne était judicieuse... et de ne pas le prendre pour un imbécile car bien sur qu'il s'en était rendu compte. En gros c'est ce qu'il a dit.
Installé sur une chaise, qui avait dû être débarrassée de la pile de livre entassée dessus, Zacharias sourit à Sheep en entendant son petit discours... son sourire s'accentua lorsque le blond remarqua l'assiette, encore fumante, tenue par l'autre sorcier.
- Ça ? C'est de la part de notre chère Molly, expliqua le plus âgé en suivant son regard. Qui, elle, m'a dit de dire... elle m'a dit quoi déjà ? Ah ! Ah oui ça y est ! Elle voulait que j'dise que ce pauvre chou devait récupérer avant d'aller voir la bande de sorcier ninja dont son mari fait parti. Je t'avouerais, franchement, ne pas avoir tout compris à ce niveau... mais je suppose que ce n'est pas grave. Après tout : on ne demande pas à un hibou de comprendre le contenu du courrier qu'il transporte. Ni à une chouette... enfin je pense. Tu crois qu'on leur demande ? Parce que j'ai envie d'être un bon hibou, tu comprends...
- Tu n'es pas un hibou, Liam, soupira le blond, amusé. Ni une chouette, ni un crocodile, ni un hamster, ni une limace.
- Je suis quoi alors … un bébé koala ?
Le blaireau détourna de nouveau la tête afin de fixer, d'un air profondément désolé, le troisième. Tout en se demandant comment l'aigle pouvait trouver la force de se montrer aussi joyeux, il leva les yeux au ciel.
- Mais tu t'arrêtes donc jamais, toi.